Le port de signes religieux dans la sphère du service public

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Le port de signes religieux dans la sphère du service public

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Le port de signes religieux dans la sphère du service public

A l’heure des débats nourris et passionnés sur le port du voile islamique par une accompagnatrice d’un groupe scolaire et de la proposition de loi débattue au Sénat, visant à interdire le port de signes religieux aux parents accompagnants des sorties scolaires, il n’est pas inutile de rappeler le droit applicable en la matière, notamment à l’occasion de circonstances beaucoup moins médiatiques, mais pour lesquelles les collectivités locales sont régulièrement confrontées.

Tout d’abord, concernant les accompagnatrices ou accompagnateurs de groupes scolaires, juridiquement appelées les « collaborateurs occasionnels du service public », la solution est dégagée par l’arrêt du Conseil d’Etat n° 235806 du 29 mai 2002 :
« Considérant, en deuxième lieu, qu’en tant qu’ils sont relatifs aux « surveillants congréganistes », les décrets attaqués ne visent en rien, comme il a été dit ci-dessus, des personnes ayant la qualité de fonctionnaires ; qu’il suit de là que les syndicats requérants ne sauraient valablement arguer d’une violation ni des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 qui sont relatives aux missions dévolues aux fonctionnaires ».

Le principe de laïcité, autrement dit de neutralité religieuse, ne s’applique pas aux collaborateurs occasionnels du service public. Mais qu’en est-il par exemple, des futurs agents du service public ?

Concrètement, une autorité territoriale souhaite recruter un agent pour le service de l’accueil périscolaire ou pour la cantine et la candidate précise expressément que de par sa confession musulmane, elle porte le hijab dans tous les actes de la vie courante.

Comment l’autorité territoriale doit-elle apprécier la candidature, compte-tenu de ces éléments portés à sa connaissance ?

L’article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, dispose que :
« La liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires.
Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race (…) ».

L’article 18 de la même loi, dispose que :
« Le dossier du fonctionnaire doit comporter toutes les pièces intéressant la situation administrative de l’intéressé, enregistrées, numérotées et classées sans discontinuité.
Il ne peut être fait état dans le dossier d’un fonctionnaire, de même que dans tout document administratif, des opinions ou des activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques de l’intéressé (…) ».

Il résulte de ces dispositions, que l’autorité territoriale ne peut fonder un refus d’embauche sur la seule circonstance tirée du fait que la candidate est de confession musulmane et qu’elle serait le cas échéant, amenée à porter le hijab au cours de son service. De plus, aucune mention relative à sa confession ne peut être consignée dans son dossier. En effet, l’autorité territoriale ne peut à l’occasion du recrutement, préjuger que l’agent portera ce signe religieux distinctif au cours du service.

Ainsi, si la candidate présente les compétences requises, la seule appartenance religieuse ne peut fonder le refus d’embauche.

Toutefois, il est indispensable que l’autorité territoriale rappelle à chaque agent ou à chaque futur agent, les obligations découlant du statut de la fonction publique et notamment de l’article 25 de la loi précitée, qui dispose que :
« Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité.
Dans l’exercice de ses fonctions, il est tenu à l’obligation de neutralité.
Le fonctionnaire exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. A ce titre, il s’abstient notamment de manifester, dans l’exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses.
Le fonctionnaire traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité.
Il appartient à tout chef de service de veiller au respect de ces principes dans les services placés sous son autorité. Tout chef de service peut préciser, après avis des représentants du personnel, les principes déontologiques applicables aux agents placés sous son autorité, en les adaptant aux missions du service ».

Les agents publics, qu’ils soient fonctionnaires titulaires ou agents contractuels, sont soumis au principe de neutralité et de laïcité. Cette circonstance est parfaitement rappelée dans l’avis du Conseil d’État n° 217017 du 3 mai 2000, qui prévoit que :
« 1°) Il résulte des textes constitutionnels et législatifs que le principe de liberté de conscience ainsi que celui de la laïcité de l’Etat et de neutralité des services publics s’appliquent à l’ensemble de ceux-ci ;
2°) Si les agents du service de l’enseignement public bénéficient comme tous les autres agents publics de la liberté de conscience qui interdit toute discrimination dans l’accès aux fonctions comme dans le déroulement de la carrière qui serait fondée sur leur religion, le principe de laïcité fait obstacle à ce qu’ils disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses ;
Il n’y a pas lieu d’établir une distinction entre les agents de ce service public selon qu’ils sont ou non chargés de fonctions d’enseignement ;
3°) Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le fait pour un agent du service de l’enseignement public de manifester dans l’exercice de ses fonctions ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un manquement à ses obligations ;
Les suites à donner à ce manquement, notamment sur le plan disciplinaire, doivent être appréciées par l’administration sous le contrôle du juge, compte tenu de la nature et du degré de caractère ostentatoire de ce signe, comme des autres circonstances dans lesquelles le manquement est constaté ».

Ainsi, l’autorité territoriale ne peut discriminer le candidat dans son accès aux fonctions. Elle peut néanmoins sanctionner l’agent en cas de méconnaissance du principe de laïcité, notamment par le port d’un signe destiné à marquer son appartenance à une religion.

La Cour administrative d’appel de Versailles a jugé dans l’arrêt n° 04VE03227 du 23 février 2006, que :
« Considérant, en premier lieu, que le principe de liberté de conscience découlant de l’article 10 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et du préambule de la Constitution de 1946 repris par la Constitution du 4 octobre 1958 bénéficie à tous les agents publics ; que, toutefois, le principe de laïcité de la République, confirmé par l’article 1er de la Constitution, qui a pour corollaire nécessaire le principe de neutralité des services publics, fait obstacle à ce que les agents publics disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses ; que cette exigence de nature constitutionnelle, commandée par la nécessité de garantir les droits des usagers des services publics, ne méconnaît ni le droit au respect de la liberté religieuse, ni l’article 5 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 selon lequel tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, ni l’article 6 de la même déclaration posant le principe de l’égalité de tous devant la loi ni, enfin, et en tout état de cause, les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatives au nécessaire respect de la vie privée ;
Considérant, dès lors, que le fait, pour un agent public, quelles que soient ses fonctions, de manifester dans l’exercice de ces dernières ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue, contrairement à ce que soutient Mme X , un manquement à ses obligations professionnelles et donc une faute ;
Considérant, en deuxième lieu, que pour apprécier la gravité de la faute commise par la requérante il y a lieu de tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce et, entre autres, de la nature et du degré du caractère ostentatoire de la manifestation de ses croyances religieuses dans l’exercice de ses fonctions ainsi que de la nature des fonctions qui lui étaient confiées ;
Considérant que Mme X ne conteste pas avoir commencé à porter, à l’été 2000, au retour de son congé parental, un voile couvrant entièrement sa chevelure destiné à marquer manifestement son appartenance à une religion ; que, contrairement à ce qu’elle soutient, la circonstance que l’enfant dont elle avait la garde soit très jeune et que les parents de ce dernier ne se soient jamais plaints de son comportement ne saurait l’exonérer du nécessaire respect du principe de neutralité à l’égard des usagers du service public ; que si la requérante fait état de ce que son activité professionnelle se déroule à son domicile, elle ne conteste pas participer, en tout état de cause, ainsi que son statut le lui impose, aux multiples activités organisées au sein de la crèche familiale ainsi qu’aux diverses sorties extérieures proposées aux enfants et à leurs assistantes maternelles ; que, dans ces circonstances, Mme X, en refusant d’obtempérer aux demandes de la commune, malgré les tentatives de dialogue de la directrice de la crèche familiale et les multiples courriers du maire de Guyancourt, en date notamment des 17 novembre 2000, 23 février 2001 et 5 juillet 2001, l’incitant à modifier son comportement, a commis une faute grave au sens de l’article L. 122-25-2 du code du travail ; que, par suite, son état de grossesse ne faisait pas obstacle à ce que la commune prononce la mesure de licenciement contestée ».

Il résulte de ces jurisprudences, que l’autorité territoriale pourrait le cas échéant, engager une procédure disciplinaire et concomitamment suspendre l’agent qui méconnaîtrait le principe de laïcité, par le port du hijab. Néanmoins, l’appartenance religieuse ne peut fonder le refus de recrutement.

En pareilles conditions au cours d’une embauche, il semble toutefois important que les documents d’engagements ou le contrat, visent les dispositions de l’article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, de manière générale.

L’autorité territoriale pourrait rappeler que la méconnaissance de ces dispositions et du principe de laïcité, notamment en portant un signe destiné à marquer une appartenance religieuse, constituerait un manquement aux obligations professionnelles et donc une faute, en restant dans le cadre de l’information générale et sans précision quant au signe et à la religion concernés, afin de ne pas porter mention de ces éléments au dossier du candidat le cas échéant, futur agent.

Thomas Porchet
DROUINEAU 1927